Sensations du tout début d’un montage
J’ai commencé récemment à travailler sur un long métrage. Ce n’est pas encore son « vrai montage », simplement le prémontage, durant quelques jours, de certaines séquences afin de pouvoir les montrer à des financiers éventuels. C’est le film d’une amie qui a en tête ce projet depuis des années. Il y a eu un premier tournage en France cet hiver et la suite doit avoir lieu cet été à l’étranger. Ces quelques prémontages ont été faits dans l’urgence, chez moi, assise dans mon salon, à cause de la deadline d’une commission à laquelle la production souhaite présenter le film.
Je n’ai pas lu le scénario mais, uniquement, il y a quelques années, quelques pages qui décrivaient l’atmosphère et le synopsis du film. Une sorte de note d’intention élargie, avec des photos. Un projet qui m’avait vraiment séduite. Je préfère ne pas lire le scénario avant d’avoir vu les rushes (mais je le lis après, bien sûr) car la première impression que me font les plans est très importante. Je ne veux pas être influencée par ce que j’aurais lu, par ce que j’aurais imaginé de l’histoire ou de sa mise en scène. Je veux découvrir un personnage tel qu’il est à l’écran, dans le corps d’un acteur, et non tel qu’il a été écrit. Lors que je montais Vdvoyom, c’est en synchronisant les rushes que j’ai appris la mort de la mère du personnage principal. Je me suis écriée « Mais elle est morte ! » en voyant qu’elle ne bougeait plus. Et cette sensation m’a guidée dans le montage du film : je savais que je devrais aller vers la même découverte simple et violente, qu’il fallait conserver cette impression pour le spectateur, et que durant la majeure partie du film, la mère devait être aussi vivante pour le spectateur qu’elle l’avait été pour moi dans les rushes.
Loin du tournage
Le tournage a été difficile, notamment parce que c’est un film qui manque d’argent. Je le sais par la réalisatrice et j’ai eu aussi au téléphone une membre de l’équipe qui, en dehors de m’apporter des informations professionnelles qui allaient me servir, avait besoin de décharger ses difficultés personnelles venues du tournage. J’ai fini par lui demander de ne pas m’en parler, lui dire que je n’étais pas la bonne personne pour recevoir ça. J’ai facilement de l’empathie, mais si je travaille sur un film je ne suis pas là pour prendre en charge des conflits qui ne me concernent pas et qui finiraient par brouiller ma perception de ce qui se passe sur l’écran. Mettre tout ça à distance, s’en protéger : ce n’est pas à moi de résoudre les difficultés des autres, mon travail c’est simplement de monter le film, sans me laisser perturber par ce qui arrive en dehors de la salle de montage. Je ne dois pas me dire qu’une séquence est ratée à cause de ci ou ça qui s’est passé au tournage, mais la regarder, voir que ce n’est pas parce qu’elle ne correspond pas à ce qui est écrit qu’elle est forcément mauvaise, et trouver comment l’utiliser ou l’améliorer sans a priori. Je ne dois pas penser que le réalisateur était en colère contre l’acteur ce jour-là et s’il reste de cette colère en lui, mais simplement voir si l’acteur y est bon ou non, si j’ai envie de le regarder ou non, indépendamment de tout le reste.
Un regard
En effectuant ce prémontage, j’ai été heureuse de tout de suite retrouver l’atmosphère décrite dans le projet. Je voyais des lieux qui y étaient évoqués, non seulement beaux mais bien utilisés, ils « passent » remarquablement bien à l’écran. Ce ne sont pas des photos d’architecture, ce ne sont pas simplement de belles images, ce sont des plans de cinéma. En montant, très vite, je ne voyais plus l’actrice mais un personnage de chair et de sang dont je commence à deviner l’histoire. La réalisatrice me parle de ce personnage, elle me dit « je l’aime de plus en plus » et je me dis que moi aussi je commence à l’aimer, qu’elle devient pour moi une personne réelle.
Et puis j’ai de petites inquiétudes : ce personnage-là, je ne le trouve pas très juste, ce dialogue, je ne le comprends pas exactement. Et puis il y a des temps étranges entre les répliques… Est-ce qu’on gardera ça jusqu’à la fin ? Est-ce que dans le flot de l’histoire, du film, ça « passera », ça sera même très bien ? Est-ce que ça me semblera évident, à la fin du montage, qu’il fallait garder ça ou est-ce que je devrai lutter contre pendant le montage ?
Souvent les monteurs disent qu’ils ont découvert le montage « en collant deux plans ensemble et en voyant que ça racontait une histoire. » Pour moi, ce qui est fascinant dans le fait de coller des plans ensemble, ce n’est pas l’histoire qui se crée, c’est le regard qui apparait. Lors de ce petit travail, j’ai surtout fait ce que la réalisatrice avait prévu, ce qu’elle me demandait plan par plan : « Tu mets ce plan-là d’ici à ici, ensuite c’est celui-ci… » De temps en temps je faisais une petite remarque, suivie ou non par la réalisatrice. On pourrait prendre ça pour un manque de liberté, mais ça ne me gêne pas, surtout à cette étape du montage. Parce qu’en suivant ce qu’elle a prévu, je me glisse dans son regard. Par exemple, au début, dans une scène avec beaucoup de personnages et de figurants, je me suis demandé pourquoi la scène était filmée de plusieurs points de vue. Puis j’ai compris que si la plupart des personnages sont filmés d’une certaine façon et que l’angle sur le personnage principal, la jeune fille, est différent, cela nous permet de sentir que notre rapport à elle est différent, tout comme son rapport au monde est différent de celui des autres.
Ces prémontages ont été faits, comme je le disais, dans l’urgence, le stress. J’ai manqué de temps pour regarder attentivement les rushes, c’est la réalisatrice qui a principalement fait le dérushage. Peut-être que ces séquences ne seront pas là dans le film terminé, qu’elles seront coupées au montage, parce qu’elle ne seront finalement plus nécessaires. Ou alors qu’elles seront très différentes. Mais elles me disent quelque chose du film, elles influencent la manière dont je vais travailler sur l’ensemble des rushes J’ai très envie d’y passer plus de temps, de voir le reste du film, d’en monter la suite. Pour cela il faudra attendre…